Sur les traces du passé juif médiéval de l'Hérault
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Crédits photo bandeau Ecriture hébraïque dans la cathédrale Saint Nazaire de Béziers © Mémoire juive de Béziers
Roger Tordjman et Michael Lancu (Institut Maimonide) et Chantal Viotte-Rabinovitch (Mémoire Juive de Béziers)
« Vivre une expérience et ne pas la transmettre, c'est la trahir » (Elie Wiesel). Aussi, nous sommes très heureux de vous inviter à découvrir de somptueux vestiges chargés de tant d'histoire et disséminés dans ces quatre villes.
Les 3 bonnes raisons de mieux connaître le passé juif de l'Hérault
- Parce que les Juifs du Midi constituent les assises les plus anciennes du judaïsme français
- Pour mieux appréhender l'importance de la communauté juive dans la vie sociale, économique et culturelle de nos cités
- Pour retrouver la mémoire d'une communauté ayant subi les soubresauts de l'Histoire
L'histoire est plus que millénaire, riche et fondatrice... Alors, suivez-moi sur les traces fécondes des communautés juives languedociennes au Moyen-Âge. Où ? A Montpellier, Lunel, Béziers ou encore Pézenas. Vous suivrez les anciens quartiers où écoles rabbiniques, mikvé, synagogues, maison de l'aumône, cimetière, réenchanteront tout le passé médiéval juif si précieux à notre histoire.
Laissez-vous conter l'histoire des Juifs d'Occitanie pour mieux connaître leur rôle dans l'essor de nos cités méditerranéennes. Exceptionnel !
MontpellierLes racines juives de la cité...
Les Juifs à Montpellier, une longue histoire d'amour...
Le voyageur et rabbin navarrais, Benjamin de Tudèle qui visita Montpellier en 1165, en sait quelque chose ! Il relate cette histoire millénaire dans le Sefer massa'ot, son carnet de voyages...
Et, c'est de là que l'on apprend que leur présence dans la ville remonterait à celle de sa fondation en 985... Outre le savoir médical qu'ils véhiculaient, ils étaient très impliqués dans les échanges commerciaux entre Agde, Narbonne et Montpellier. Ils exerçaient d'ailleurs comme macelliers, courtiers en étoffes, marchands de soieries, teinturiers, colporteurs, viticulteurs... Habitants de la cité, ils contribuaient également à sa défense en temps de guerre.
C'est dire le rôle joué par la communauté juive médiévale dans l'essor de la ville ! Mais, cette histoire s'arrêtera avec l'édit royal du 17 septembre 1394 en vertu duquel tous les Juifs de France sont expulsés du royaume...
Promenez-vous dans la ville
Déambulez dans le quartier juif médiéval du fief seigneurial Guilhem : rue de la Barralerie, rue Castel-Moton, rue du Puits des Esquilles, rue du Figuier, rue de la Vieille Intendance... Un vrai pélerinage au coeur de l'Ecusson !
Le Mikvé L'un des mieux conservés du monde !
Saviez-vous que Montpellier possède l'un des plus anciens bains rituels juifs d'Europe, le Mikvé ? Un patrimoine sous terre rare puisqu'il n'en reste qu'une dizaine en Europe !
Pour être les témoins de ce joyau de l'art roman réalisé par des architectes chrétiens, prenez rendez-vous avec les guides de l'Office de Tourisme de la ville qui en détiennent les clés... Direction ensuite rue de la Barralerie, l'ancienne rue centrale du quartier juif du fief seigneurial des Guilhem (fin 11ème - début 13ème siècle) qui comptait de nombreux penseurs et médecins.
Ici, l'ensemble cultuel, la Schola Judeorum, regroupe un lieu synagogal, une maison d'aumône (Domus helemosine), une maison d'études et le fameux Mikvé. Vous y verrez uniquement le bain du 12ème siècle ayant échappé aux rugosités du temps, la salle déshabilloir, ainsi que le bassin avec ses sept marches et sa gargouille d'où sort l'eau qui servait notamment à "purifier" les femmes ayant leurs règles ou ayant accouché...
Mais, chut, je ne vous en dirai pas plus sur l'histoire de ce lieu sacré. Le mieux, c'est de le découvrir in situ... !
La Faculté de Médecine ou l'apport à la science du judaïsme
Saviez-vous que les Juifs ont été dépositaires d'une science exceptionnelle ? Médecine et philologie ?
Montpellier, et d'une manière plus large le Languedoc, a été un carrefour civilisationnel, une terre de passages, de brassages, de transmission du savoir. Et les représentants du mosaïsme (judaïsme) ont joué un rôle fondamental dans l'apport aux sciences (médecine arabe, médecine juive d'expression arabe) et dans l'apport à la science du judaïsme (Exégèse, le Talmud et Mysticisme, la Kabbale).
Arpentez le hall de la Faculté de Médecine et découvrez la liste des premiers médecins montpelliérains. Bon nombre d'entre eux étaient juifs : Ricard Senior, Schem Tob Ben Isaac, Profacius Judaeus...
Envie d'en savoir plus sur l'édifice et son histoire ? Inscrivez-vous à une visite guidée !
Le Mahzor Montpellier est aux Archives Municipales !
Saviez-vous que Montpellier possède l'un des rares manuscrits liturgiques hébraïques retrouvés ? Le Mahzor Montpellier, rituel de prières, acquis en 2008 par la Municipalité ! Aujourd'hui exposé dans une vitrine des Archives Municipales, cet opus vieux de plus de 600 ans a été rédigé par les exilés juifs de Montpellier réfugiés en Comtat Venaissin. Il s'agit d'un manuscrit liturgique du 14ème siècle comprenant 253 feuillets, et écrit en hébreu (séfarado-provençal). Plus qu'un livre de prières pour les grandes fêtes juives, c'est, selon Léopold Zunz (1794-1886, l'un des fondateurs de la science du judaïsme), le seul ouvrage connu retraçant les rites de la communauté juive montpelliéraine de l'époque.
Sites emblématiques à Montpellier...
Lunel, la petite Jéricho médiévaleUn peu d'histoire...
Savez-vous que Lunel était un haut-lieu de la mémoire juive euro-méditerranéenne, et que c'était une ville de Talmud ?
Laissez-moi vous conter son histoire qui débuta au 12ème siècle lorsqu'une communauté juive vint se réfugier en Languedoc vers 1140... Chassée d'Espagne par les Almohades, adeptes d'un islam rigoriste, elle était composée de nombreux érudits, talmudistes, traducteurs, grammairiens, médecins, astronomes, philosophes... Certaines familles s’installèrent alors à Lunel et trouvèrent en la personne du rabbin espagnol Juda Ibn Tibbon un chef de file engagé qui enseignait à la « yeshiva », école juive où l'on lisait et commentait, entre autres, les textes sacrés, le Talmud...
Siège des réflexions intellectuelles, culturelles et berceau des affrontements entre les tenants de la tradition juive et les partisans d'un apport aristotélicien, Lunel devint rapidement au Moyen-Âge l'un des principaux centres de la science juive, « la résidence de la Torah », ou encore, selon l'expression d'un savant de la fin du 12ème siècle, « le parvis du temple ». Il est d'ailleurs souvent question des « sages de Lunel », telle la famille de lettrés locaux des Meshoulam (père et fils) qui accueillirent avec engouement les exilés juifs andalous venus trouver refuge en Languedoc.
Les Tibbon, célèbre lignage de souche andalouse sur quatre générations de savants, apportèrent avec eux du sud de l'Espagne toute leur science développée en terres ibériques. Ce transfert culturel bouleversa la physionomie des communautés occitanes toutes « talmudico-centrées » et ne se préoccupant que de Torah et de Talmud. La découverte de la philosophie « des Grecs » contenue dans les écrits maïmonidiens qu'ils s'attelèrent à faire traduire pour leurs co-religionnaires méridionaux transforma du tout au tout leurs conceptions intellectuelles et spirituelles appelées à révolutionner les traditions locales. C'est d'ailleurs le fils Samuel de l'exilé andalou Judah Ibn Tibbon qui traduit à Lunel en 1204 l'opus magnum de Maïmonide, « Le Guide des Perplexes », ouvrage souhaitant concilier la foi et la raison.
Expulsé du Royaume de France en 1306 sous le règne de Philippe Le Bel, plus aucun juif ne revint à Lunel...
Dans les ruelles lunelloises à la recherche de vestiges...
Promenez-vous dans les ruelles lunelloises ! Vos pérégrinations vous mèneront jusqu'à la rue Alphonse Ménard où vous pourrez admirer l'un des murs extérieurs de l'hôtel particulier de Bernis, plausiblement celui de la synagogue médiévale.
En face du mur de celle-ci, un panneau émaillé résume l'histoire du passé juif de la ville afin de se souvenir de la communauté juive florissante du Moyen-Âge.
BéziersDans les pas des cryptologues
Béziers ou « Beders » de son nom hébreu, la ville aux mystérieux symboles... Je vous propose de marcher dans les pas des cryptologues.
Au Moyen-Âge classique, les Juifs biterrois connaissent un âge d'or sous la protection des Trencavel, vicomtes de Béziers et de Carcassonne, qui s'appuient sur eux pour gouverner la ville en nommant parmi eux des « baillis ».
Après avoir connu de graves vicissitudes, comme la terrible coutume de la lapidation, ils goûtent enfin une paix et une prospérité qui vont connaître une fin brutale en 1209 lors de la fameuse Croisade des Albigeois proclamée par l'église catholique contre l'hérésie, principalement le catharisme.
Le balancier de l'histoire, en oscillant entre tolérance et intolérance, en a gravé à jamais la mémoire dans les pierres hébraïques et chrétiennes où abondent messages et symboles troublants à découvrir et décrypter au fil d'une véritable tétralogie mémorielle dans le cœur historique de la ville...
Parcours dans les anciens quartiers juifs
En face de la cathédrale St Nazaire, empruntez l'ancienne rue de la Juiverie. Sur le promontoire qui domine la plaine de l'Orb, imaginez cette vue que les Juifs avaient consacrée en nommant Béziers « La petite Jérusalem », et les tisserands installés sous le pont vieux. Redescendez par la rue Boudard, entièrement juive, mais dont l'un des côtés appartenait à l'évêque, tandis que l'autre relevait de l'autorité du roi, alors même que l'on a découvert que toutes les maisons communiquaient secrètement entre elles par les caves. Découvrez le porche de la rue du Soleil par lequel on accède à un ancien quartier juif jadis protégé et entouré de murailles, le porche de la rue du Capus et sa signature architecturale typique.
Ces quartiers sont le reflet de l'histoire qui allait mener les Juifs de l'abomination de la lapidation à la consécration en tant que bayles de la ville puis à la chute et à l'exil.
En apparence, Béziers est la première ville cathare de la Croisade à tomber. Mais si, à Béziers, c'étaient les juifs qui étaient en réalité visés ? Quel message crypté le pape leur a-t-il envoyé par le choix de la date du sac de la ville, le 22 juillet ? La réponse se trouve-t-elle au musée des Bedersi?
La cathédrale Saint Nazaire L’énigmatique sourire de la Synagogue
Construite sur les restes d'un temple romain, l'imposante cathédrale Saint Nazaire domine la ville. Sur la façade occidentale, deux statues allégoriques évoquent, pour l'une, la « Synagogue » déchue et les yeux bandés, et pour l'autre, « l'Eglise » triomphante.
Mais à l'intérieur de la cathédrale qui semble encore résonner des imprécations de l'évêque enjoignant à ses fidèles de lapider les Juifs déicides, se cachent des symboles étranges…
Juste à l'entrée, ainsi que dans la chapelle du Saint Esprit, apparaissent les lettres hébraïques du Tétragramme, le nom hébraïque et imprononçable de D.ieu, mais curieusement inversées.
Aux portes des tabernacles, les trois lettres répétées du « Hé », symbole hébraïque du souffle créateur de D.ieu, qui ne peuvent avoir été gravées que de la main d'un kabbaliste… et le même dessin d'un holocauste, que celui qui apparaît dans les armoiries des Juifs de Béziers. Que dire de cet angelot brandissant un yad, la main de lecture juive de la Torah… !
Plus loin, sur une fresque, un Juif en « disputatio » avec des chrétiens… Mais, Saint Nazaire lui-même qui fut persécuté en tant que chrétien, n'était-il pas le fils d'un Juif ? Quel mystère !
L'église Sainte Madeleine Le théâtre d'évènements dramatiques
Le peintre biterrois, Jean-Noël Sylvestre, a immortalisé dans un grand tableau au fond de l’édifice, l’assassinat en 1167 du vicomte Roger Trencavel par les bourgeois de la cité.
Les Juifs ayant refusé de tremper leurs mains dans le sang de Trencavel, leur fidélité sera récompensée. Mais en 1209, lors du sac de Béziers, ceux qui avaient choisi de rester, ne seront pas épargnés par les croisés…
Comme dans la cathédrale Saint Nazaire, votre œil avisé ne manquera pas de repérer les symboles hébraïques dans l'église Sainte Madeleine...
Le musée des Bedersi, seul musée juif d'Occitanie ! La mémoire des pierres et des armoiries
Suivant le chemin des cathares, les Juifs survivants de la Croisade des Albigeois s'exilent en Catalogne, dans la petite ville d'Olot. Une pierre baptisée « mystérieuse » par les Catalans, dont une face est couverte de caractères hébraïques, alors même que l'autre a été consacrée comme pierre d'autel chrétienne, évoque leur exil. On peut y lire le toponyme de « Beders », Béziers en hébreu.
A leur retour quelques années plus tard, ils gravent la suite de leur histoire dans une nouvelle pierre frappée de la fleur de lys royale, la plus belle et la plus grande de toutes les pierres hébraïques médiévales de France !
Le musée juif de Béziers présente, dans sa collection permanente, une copie de ces deux pierres. Il approche également le judaïsme à travers les fêtes juives, une collection d'objets de culte et un étonnant « diorama de Hanouka ». Et, visites scolaires possibles !
L'école rabbinique de Béziers
Découvrez le lien mystérieux entre la tribu hébraïque d'Issacar et le rabbin savant Abraham Ibn Ezra, grand instigateur de l'école rabbinique de Béziers qui a marqué les armoiries des Juifs biterrois du sceau de l'astronomie et de l'astrologie. Leur blason vous projette dans le monde de Nostradamus, tandis que la présence de la croix des templiers sur les plafonds de l'hôtel de Cassagne, où est logé le musée des Bedersi, évoque leurs liens avec l'Ordre....
Sites emblématiques de Béziers
BEZIERS
BEZIERS
PézenasA l'ombre de son passé juif médiéval
Jacques Cœur, Nostradamus, Molière… tous bien connus à Pézenas ! Mais, saviez-vous que la ville abrita au Moyen-Âge une communauté juive, dont l'habitat, largement ouvert sur l'habitat chrétien, est resté inscrit dans sa topographie ?
Il vous suffit de cheminer jusqu'à la rue de la Juiverie et rue des Litanies pour retrouver toute l'âme du quartier juif médiéval. Une plaque commémorative "ancien quartier juif XIIIème - XIVème siècles" en vue ? Stop, vous êtes au bon endroit !
En 1722, une grande cuve en terre formant un petit bassin fut retrouvée dans le sous-sol d'une maison qui correspondrait vraisemblablement à un « mikvé », bain rituel juif servant à la purification.
Poursuivez votre visite dans la ville à l'architecture extraordinaire, vous tomberez incontestablement sous son charme d'antan.
La vie commerciale des juifs
C'est vers 1298 qu'apparurent les Juifs à Pézenas, venant d'Espagne, du Portugal et d'Italie. Siège de foires, ils y développèrent le commerce d'habits et de bestiaux, mais aussi de la laine et des draps. En 1332, une loi imposait même aux Juifs traversant Pézenas ou venant y vendre un droit de « leude » (octroi ou péage). Les familles juives disparurent de la ville en 1394 lors de l'expulsion des Juifs de la communauté du royaume de France.
Un peu plus loin... Le petit cimetière Bedarride
Quittez maintenant le centre historique de Pézenas pour découvrir le petit cimetière Bedarride niché dans la campagne à 2 km à l'ouest de la ville. Suivez-moi...
À la fin du 18ème siècle, une petite communauté juive a pu se reformer à Pézenas autour de la famille Bedarride, dont Israël Bedarride (1798-1869), bâtonnier de l'ordre des avocats de Montpellier d'origine israëlite, membre de l'Académie de Montpellier, homme politique et historien tout à la fois, fut la figure centrale. Il milita, entre autres, pour que les Juifs soient reconnus comme citoyens à part entière.
Ce cimetière, où il fut inhumé, a été récemment restauré par les membres de l'association « Les Amis de Pézenas ». Ils ont reconstruit le mur d'enceinte selon les dimensions d'origine et réuni chaque morceau du puzzle pour reconstituer les pierres tombales avec les inscriptions hébraïques. Y apparaissent des noms connus en Languedoc, tels que Lisbonne, Bedarride...
Parcourir « ce lieu désert à préserver », c'est se recueillir, rendre hommage à l'histoire et à la mémoire juive.
Pour les férus d'histoire et de patrimoine...
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